Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau numéro de Derrière un projet. Le premier numéro mettait en lumière Rule ma poule (pour la séance de rattrapage, c’est par ici). Cette semaine, place à la Lady Planeswalkers Society, promouvant l’inclusivité dans le jeu organisé de Magic The Gathering. Concept porté dans notre région par Marion Dupouy et Julie Bouchonville, celles-ci ont accepté de répondre aux questions de notre journaliste d’un jour, Tomas Ornowski.
(Propos recueillis le 22/05/17)
Tomas : Bonjour Mesdames et merci de vous prêter au jeu de l’interview. Commençons par le début : pouvez-vous vous présenter et nous indiquer dans quels projets arbitraux vous êtes investies ?
Julie : Je suis arbitre niveau 2 et depuis pas très longtemps capitaine de région des hautes France. Ce que je fais pour m’investir est d’encourager des gens qui s’investissent dans les projets à continuer leurs efforts. Je soutiens différents projets plutôt de loin.
Marion : Je suis L2 aussi. Je participe à plusieurs petits projets divers et variés : questions de la semaine, cranial insertion, newsletter… À côté de ça j’essaye d’arbitrer autant que je peux, mais je viens de changer de région donc je cherche encore un peu comment m’intégrer. J’essaie d’arbitrer pas mal en GP aussi.
T : Parlons maintenant du sujet qui nous réunit aujourd’hui : la « LPS ». Tout d’abord, une petite définition peut-être, qu’est-ce que la LPS ?
M : LPS signifie « Lady Planeswalkers Society », c’est un groupe créé à Seattle en …
J : 2012 je crois … non, 2011 !
M : Son objectif initial était de permettre à des filles et à des femmes de rejoindre des groupes dans lesquels elles se sentaient bien, donc des groupes inclusifs, de sensibiliser aux problèmes de misogynie, de sexisme, etc… Parce que l’environnement de Magic, comme beaucoup d’environnements de ce type, n’est pas tout le temps idéal pour les femmes. Au fur et à mesure la LPS s’est étalée géographiquement et au niveau de sa sphère d’influence. Aujourd’hui elle s’intéresse à toutes les questions sur l’inclusivité : racisme, homophobie, validisme (ndlr : oppression envers les personnes porteuses de handicap qu’il soit physique ou mental)… Elle tend à rendre l’environnement de Magic le plus inclusif possible pour tout le monde, qui que l’on soit.
J : C’est plutôt bien résumé.
M : En concret, il s’agissait d’organiser des événements « labellisés » LPS : l’organisateur était sensibilisé à la question, les personnes savaient que l’environnement était bienveillant et promouvait la remontée des problèmes…
J : Il y a certes le mot « Lady », mais ça ne signifie pas que la LPS est exclusivement réservée aux femmes ou aux personnes qu’on voudrait défendre. Tout le monde est le bienvenu tant qu’il y a cette volonté de bienveillance, d’être aimable, de traiter tout le monde avec respect… Ce n’est pas un environnement en non mixité.
T : Vous avez parlé de sa création à Seattle. Comment l’idée s’est-elle exportée en France ?
J : C’est facile, un matin Marion a dit : « J’en ai marre ! » et une demi-heure après il y avait une LPS française.
M : Il y a eu tout un processus avant quand même ! À la base, il y avait un forum de projet concernant les femmes et l’arbitrage, créé par Guillaume Beuzelin conscient qu’il pouvait y avoir des problèmes lié au fait d’être une femme ou quoi que ce soit, dans lequel il y avait toutes les arbitres féminines françaises. Julie et moi nous étions déjà intéressées rapidement à la LPS, mais après une réflexion commune avec le groupe et après que Sonia L’hopital nous ait parlé de la LPS Australienne, nous nous sommes décidées de créer la branche française, notamment parce qu’en Europe il y en a pas mal, comme en Belgique par exemple, et elles sont plutôt actives.
J : Mais c’est quand même Marion qui a mis un coup de pied dans le projet pour le lancer !
M : Ça signifie simplement créer une page Facebook, une bannière et un avatar…
J : On l’a aussi annoncé sur plein de groupes Facebook ! Rappelle-toi la levée de boucliers de fou qu’il y a eu sur certains groupes !
M : C’est vrai que c’était plutôt infernal. Sur le groupe « Magic France », comme on aurait pu s’y attendre, des gens ont dit « cloisonner Magic c’est pas bien, on est tous humains », des trucs comme ça quoi…
J : Des gens qui n’étaient pas du tout concernés par ce qu’on voulait protéger ont soulevé ce qui était pour eux l’inintérêt de la chose et qui selon leur point de vue paraissait « sectaire ».
M : Et quand on a soulevé un ou deux exemples de situations qui nous sont arrivées, la réponse unanime était « mais il y a des gens désagréables partout »… D’où la légitimité de la LPS. Mais à part ces réactions là l’accueil a été plutôt positif. Je précise quand même qu’il n’y a pas vraiment d’organisateur officiel, si quelqu’un a envie d’organiser un événement LPS il a le droit, et on est là pour en discuter sur comment faire, l’aider à organiser…
T : Vous avez mentionné plusieurs autres LPS. Comment se déroule le contact avec celles-ci ?
J : Les LPS sont toutes un peu indépendantes, on n’intervient pas trop dans ce que font les autres mais les idées sont partagées et on est toujours le bienvenu car on partage les mêmes valeurs. Mais on ne garde pas nos frontières, bien sûr !
M : Il existe un groupe Facebook très actif qui regroupe tous les gens concernés par les LPS, où on parle beaucoup des événements, c’est aussi une plateforme de rencontre, ça permet d’être en contact avec tout le monde.
T : Parlons maintenant des actions entreprises par la LPS françaises. Quels événements ont été créés par le passé, et quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
J : Honnêtement, mes objectifs ne sont pas très remplis. Ma vision de la LPS est que la plupart des gens en boutique n’ont pas besoin de la LPS car ils ont déjà fait la démarche d’acheter le produit et se sont intégrés tout seuls, du coup ils ne comprennent pas trop l’intérêt de la LPS. Donc le but de la LPS est de toucher soit des personnes qui n’ont pas encore appris à jouer à Magic et qui ne seraient pas contre le fait d’apprendre mais qui n’ont pas forcément envie que ce soit leur petit ami ou un inconnu d’un magasin qui leur apprenne, soit des personnes qui jouent chez eux entre amis et qui ne viennent pas jouer en boutique.
M : Une étude avait montré que 30% des joueurs sont des joueuses, mais est-ce qu’on voit en boutique ou en GP 30% de femmes ? Bien sûr que non. Ça montre qu’il y a un espèce de plafond de verre qui peut être interprété par la différence entre l’endroit « safe » chez soi dans un environnement connu et les endroits où on n’est pas sûr d’être « en sécurité », de passer un bon moment.
J : Ce que je fais du coup est de recruter par des initiations ou d’encourager les joueurs à ramener leur famille, leurs amis… J’avais organisé un événement au Dernier Bar avant la Fin du Monde, le succès n’était pas fou mais ça a eu le mérite d’exister. L’objectif de la LPS est de créer des joueurs et de rapatrier les joueurs invisibles qui jouent chez eux et qu’on ne voit jamais en boutique.
M : Je rejoins tout à fait Julie sur la vision de la LPS. C’est exactement les mêmes objectifs que j’aimerais mener. On a eu une bonne activité au démarrage de la LPS française au GP Rotterdam, il y a eu des tournois organisés par Tournament Center, l’organisateur de l’époque, qui a eu la volonté de faire quelque chose avec la LPS. C’était avec la LPS belge, il y avait eu un charity event le dimanche et un bounty event. Le Charity event avait pour but de reverser les bénéfices à une association et le bounty event permettait de jouer contre des membres de la LPS ou des cosplayers. Je n’y étais pas donc je ne peux pas donner plus de précisions mais ça montre que c’est faisable à grande échelle. Je rejoins cependant Julie là aussi, si on fait ça en GP on est chez des gens qui se sont déjà intégrés, mais ça donne mine de rien une image différente du GP, et on espère que ça peut toucher notre cible par répercussion. À Montpellier je n’ai pas encore organisé grand chose, mais j’ai quand même remarqué aux dernières AP qu’il y a des événements catégorisés comme très conviviaux et qu’il y a des gens qui ne vont qu’aux AP. Je pense que c’est un bon début d’aller aux AP et de discuter avec ces personnes là pour organiser des choses, en espérant qu’il y ait un effet boule de neige. Je pense que l’AP est la première étape sans avoir à forcer les gens.
J : Je connais aussi certaines personnes qui ne font que les AP. Mais je surveillerai d’autant plus les AP car elles peuvent être à double tranchant : les événements très conviviaux de ce type ont parfois le problème de voir débarquer le « gang de loubards de Magic » avec plusieurs personnes, généralement des hommes, qui se connaissent et qui s’en foutent car « ce n’est qu’une AP », et qui sont très susceptibles de pourrir l’ambiance parce que chacun peut avoir une définition différente de la convivialité.
T : Approfondissons un peu ces objectifs. Quels sont les moyens mis en œuvre pour arriver à accomplir ces objectifs ?
M : Pour le moment à Montpellier je n’ai pas encore fait grand chose à cause de ma thèse, mais on a une bonne dynamique arbitrale et l’idée y est, donc dans un futur proche je pense qu’on arrivera à produire quelque chose.
J : Je pense qu’il est important de souligner ce comportement chez les nouveaux arbitres que l’on recrute, d’apprendre aux arbitres d’être attentifs et à l’écoute, car c’est aussi notre boulot après tout. Les nouveaux L1 sont souvent le visage de leur petite communauté et influents au sein de celle-ci, donc s’ils peuvent s’assurer d’un environnement sain autour d’eux cela fera déjà grandement avancer les choses.
M : J’insiste en précisant qu’il existe un document officiel qui est le Code de conduite des arbitres (ndlr : vous pouvez trouver ce document sur cette page), qui est très clairement en faveur de l’inclusivité, un arbitre doit s’assurer que Magic soit un environnement où tout le monde se sente en sécurité pour jouer et passe un bon moment, quelque soit son genre, son orientation sexuelle, sa religion… Le rôle de l’arbitre selon Wizards est de faire en sorte que l’environnement soit bienveillant et accueillant. Donc ce n’est pas une simple lubie !
J : C’est un document officiel qui a autant de valeur que les MTR, et c’est très rare que des arbitres l’aient lu. Donc lisez-le !
T : Quels sont les projets futurs de la LPS ? Est-ce qu’il y en a déjà en cours d’organisation ?
J : Continuer à regrouper et à recruter du monde afin d’avoir des joueurs desquels on est sûr qu’ils viendront pour faire événements frappés du sigle de la LPS. Je ne veux pas trop en parler mais je prévois un événement d’une moyenne ampleur dans le nord qui tournera autour des 200 joueurs si tout se passe bien, mais rien de concret encore.
M : J’ai deux axes sur lesquels je prévois de travailler : le premier est une communication auprès des organisateurs sous forme de documents, de workshops… pour leur introduire la notion d’inclusivité et leur parler de choses et d’autres, des choses très bénignes comme par exemple s’assurer d’avoir des poubelles dans les toilettes, c’est très simple mais c’est important. Mon objectif serait qu’ils auraient un point central à contacter pour savoir quoi faire. Le deuxième vient de l’exemple du GP Rotterdam, avec la nouvelle organisation des GP et l’organisateur unique, de prévoir une présence LPS sur tous les GP, sous forme de stand, d’événement… pour montrer qu’on existe.
Tomas : Enfin, est-ce que vous avez des choses à rajouter ? Un dernier mot pour la fin ?
M : J’aimerais juste ré-attirer l’attention que la LPS n’est pas uniquement pour les personnes qu’on cible, il n’y a pas besoin de « carte de membre » ou de démontrer une certaine condition, tant qu’on montre patte blanche on est le bienvenu.
J : Même si on ne se sent pas concerné et qu’on ne fait pas partie de la LPS, faire en sorte que tout le monde passe un bon moment tient souvent aux petits détails, c’est éviter les blagues débiles, pas prendre gens de haut, sourire… et juste traiter tout le monde comme un humain qui n’a pas envie de se faire insulter. Juste en étant sympa on peut améliorer le quotidien de beaucoup de joueurs.
Et voilà ! Si vous souhaitez en apprendre plus sur la LPS, vous pouvez vous rendre sur le groupe facebook associé.
Un grand merci à Julie et Marion de s’être prêtées au jeu de cette interview, ainsi qu’à Tomas pour avoir recueilli leurs propos.
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Je vous dit à très bientôt pour le prochain numéro de Derrière un Projet.
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