Arbitres utilisés comme traducteurs

Écrit par Jack Doyle

Écrit par Jack Doyle

 

Faites appel à vos souvenirs. Avez-vous déjà été appelé à une table par un joueur qui ne parlait pas très bien ni français ni anglais et dont l’appel aurait été beaucoup mieux géré par un arbitre qui parlait la langue natale de ce joueur ? Qu’avez-vous fait ? Comment avez-vous géré la situation ? Auriez-vous pu mieux faire ?

Ce petit article vise à exposer les problèmes que pose la méthode la plus courante de gestion de ce type de situation et – du moins je l’espère – il s’efforce aussi d’enseigner aux arbitres une solution plus optimale qui apporte à la fois la paix de l’esprit au joueur et la préservation de l’intégrité des arbitres et du Programme d’Arbitrage. Bien que cet article soit plus utile dans les zones géographiques où coexistent plusieurs langues, j’aime à penser que tout le monde y trouvera un intérêt et pensera à s’en servir le moment venu si la situation se présente.

Lors du dernier Grand Prix européen (c’est-à-dire, au moment où j’écris ces lignes, le Grand Prix de Vienne), le staff d’arbitres était issu de pas moins de vingt-deux pays différents. Certes l’anglais était de très loin la langue la plus parlée à ce Grand Prix, mais il est important de ne pas négliger les joueurs incapables d’exprimer correctement en anglais ce dont ils ont besoin ou ce qu’ils veulent dire. Dans la plupart des cas il s’agit simplement d’une mauvaise compréhension entre deux joueurs pendant une partie, ce qui les conduit à appeler l’arbitre s’ils s’avèrent incapables d’exprimer correctement ce qu’ils veulent faire ou dire.

Parfois les appels sont très simples : (où sont les) “toilettes”, “Oracle” (d’une carte) ou “temps” (qui reste dans la ronde). Faites de votre mieux pour estimer la complexité d’un appel avant de partir précipitamment à la recherche d’un traducteur. Ayez conscience de vos limites linguistiques et sachez quand aller chercher un traducteur pour les appels à l’arbitre plus complexes qui requièrent une bonne communication pour les résoudre.

Or il existe une façon simple et élégante de résoudre ces problèmes. J’ai déjà indiqué qu’il y avait plus de vingt nationalités parmi les arbitres de ce Grand Prix, ce qui signifie que beaucoup d’arbitres sont capables de parler les langues parlées par les joueurs. Quand l’une de ces situations se présente, vous pouvez vous contenter d’appeler vos collègues à la rescousse.

 

1) La “mauvaise” façon

a. S’approcher d’une table pour répondre à un appel.
b. Réaliser que le joueur parle très mal français et anglais, et qu’il est allemand par exemple.
c. Trouver un arbitre germanophone.
d. Le laisser répondre à l’appel.

Cela ressemble-t-il à la façon dont vous avez géré un appel à l’arbitre par le passé ? Il est important de réfléchir au message que cela envoie au joueur. Bien que celui-ci puisse trouver plus facile de parler avec l’arbitre germanophone au début, cela permet au joueur de choisir l’arbitre à qui il s’adresse et dont il obtient un ruling. C’est important parce que des différences culturelles entre les régions engendrent des différences entre les arbitres de ces régions. La plupart des régions disposent d’un forum ou d’un groupe Facebook et un consensus général tend à s’instaurer quant aux rulings qui y sont proposés. Laisser les joueurs décider de l’arbitre qui répond à leurs appels est sous-optimal, cela doit être évité autant que possible.

Il existe une situation dans laquelle cela pourrait constituer une option qui apporte un meilleur service clients – si les deux joueurs sont incapables de s’exprimer dans une des langues que vous parlez. Dans ce cas-là vous allez dépenser des quantités considérables de temps et d’énergie (de plusieurs arbitres) à essayer de préserver l’intégrité de ce seul appel à l’arbitre et il appartient au(x) Head-Judge(s) de l’événement ainsi qu’à vous-même de décider s’il convient d’utiliser cette option dans certaines circonstances.

 

2) La “bonne” façon

a. S’approcher d’une table pour répondre à un appel.
b. Réaliser que le joueur parle très mal français et anglais, et qu’il est allemand par exemple.
c. Trouver un arbitre germanophone.
d. Le faire traduire pour vous.

La différence est subtile mais fondamentale. Au lieu de récupérer la charge du ruling et de le rendre à votre place, l’autre arbitre se contente de traduire pour vous. Depuis peu, je prends également le temps de mettre tout ça au point avec “l’arbitre-traducteur” sur le chemin entre là où je le trouve et la table où il faut aller. Il peut s’avérer aussi très utile que cet arbitre explique ça rapidement aux joueurs, afin que tout le monde connaisse le rôle de chacun.

 

OK, en quoi cette solution est-elle meilleure ?

a. Vous, qui êtes le premier arbitre à répondre, seul savez exactement quand vous l’avez fait donc vous pourrez octroyer la bonne durée de l’extension de temps.
b. Vous offrez au joueur l’opportunité d’obtenir des informations et une explication claire de la part d’un arbitre dans sa propre langue et d’exprimer correctement ce qu’il veut dire, indépendamment de l’arbitre appelé en premier.
c. Le joueur n’a pas le choix de l’arbitre ou du ruling.
d. Le joueur ressent aussi qu’il peut appeler n’importe quel arbitre et obtenir toujours un ruling équitable.
e. Vous avez quelqu’un avec qui discuter en cas de besoin.

La réalité du terrain est que certains des principaux écueils avec cette méthode sont rendus en grande partie inopérants par la configuration du staff d’un tournoi du niveau d’un Grand Prix (qui est le niveau le plus fréquent où ce genre de problèmes de traduction se produisent). Affecter cet arbitre supplémentaire à la traduction (au lieu qu’il accomplisse ses propres tâches) n’aura souvent que peu voire pas d’impact notable sur la couverture de la salle.

Ainsi, j’espère qu’à présent vous êtes conscient de la façon optimale d’utiliser un traducteur ou d’être utilisé en tant que traducteur, lors de grands événements. Comment pouvez-vous rationaliser encore davantage cette procédure ?

1) Interagissez avec vos collègues

a. Regardez leur badge ! Cela vous indique au moins une des langues qu’ils parlents. S’il est français ou britannique, hé bien…
b. Parlez-leur ! Vous découvrirez souvent lors d’une conversation banale qu’ils parlent d’autres langues.

2) Sachez à qui faire appel

a. C’est génial que vous vouliez aider le joueur en trouvant un arbitre qui parle la même langue, mais si ça vous prend 10 minutes, ça ne sert à rien ni à personne. Rappelez-vous que les nationalités des arbitres sont souvent inscrites sur le planning et ainsi vous pourrez réduire votre zone de recherche en vous basant sur l’équipe à laquelle ils appartiennent.
b. Si vous ne connaissez aucun arbitre en particulier qui parle cette langue, interrogez un arbitre expérimenté. Normalement vous serez dans une zone précise avec votre équipe donc interrogez l’un de ses membres.
c. Dans le pire des cas, vous pouvez en référer au Head-Judge lui-même.
d. Au Grand Prix de Vienne en 2014, les chefs d’équipe du Jour Un utilisaient des talkies-walkies pour communiquer entre eux. Cela leur permettait par exemple de demander à la table d’arbitrage principale ‘un arbitre espagnol pour la table 100’ et celui-ci apparaissait comme par magie. Tenez-vous informé de ces progrès technologiques si de tels appareils sont employés lors de votre événement.

3) Interagissez avec lui comme avec le HJ après appel de votre décision

a. Briefez-le sur ce que vous savez, si vous savez quoi que ce soit. Si la langue a fait obstacle immédiatement, essayez quand même d’expliquer quel est le problème.
b. Expliquez-lui que vous le recrutez comme traducteur et non comme arbitre (pour le moment).
c. Présentez-le aux joueurs et faites-lui traduire ce qui est expliqué ici, afin que les joueurs comprennent la dynamique et les interactions qui auront lieu à partir de ce moment-là.

Conclusions

En réfléchissant aux deux méthodes ci-dessus, il est important que vous réalisiez qu’il suffit d’un petit changement dans la façon dont vous traitez l’arbitre-traducteur et dans celle dont les joueurs interagissent avec lui, conduit à préserver l’intégrité des arbitres et du tournoi lui-même. Cela demande davantage de temps et d’efforts mais en fin de compte cela donne une meilleure expérience à toutes les parties concernées – il ne faut jamais dissuader les joueurs d’appeler un arbitre et, dans certains cas, la désir de ne pas s’embêter à discuter avec un arbitre qui ne parle pas la même langue suffit à encourager des comportements indésirables, qu’il s’agisse de petites choses comme ne pas clarifier des questions sur les règles ou le règlement, jusqu’au point de commettre une USC – Cheating (triche) par manque d’envie d’appeler un arbitre.

J’espère qu’à défaut de mieux, cet article vous aura au moins incité à réfléchir de façon critique à vos interactions avec les joueurs et qu’à votre prochain Grand Prix où ni le français ni l’anglais ne seront les langues natales, je vous souhaite d’avoir de meilleures interactions aussi bien avec vos collègues arbitres qu’avec les joueurs.

N’hésitez pas à me contacter via le service de mails des forums de JudgeApps si vous avez des questions.

Ceci est une traduction par Loïc Hervier.