Enquêtes – À la recherche des vérités collatérales (partie 2)

Écrit par Eric Shukan

Écrit par Eric Shukan

 

Dans la première partie j’ai parlé des vérités collatérales comme étant des conséquences à éprouver qui peuvent être examinées pour obtenir des informations concernant la véracité de l’histoire d’un joueur. Maintenant, nous allons étendre au concept de “métagame” dans le but d’analyser la question depuis le point de vue de la motivation. Cette idée ne peut ni confirmer ni infirmer l’histoire d’un joueur dans son ensemble mais cela peut aider à évaluer les probabilités associées à la vérité.

 

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les joueurs peuvent tricher mais elles suivent toutes une même considération globale : l’évaluation du rapport entre risque et récompense. C’est le fait de soupeser une ligne d’action par rapport à une autre afin de décider comment obtenir le meilleur résultat. Ceci est l’opposé du hasard et ces exercices mentaux sont le cœur de Magic The Gathering.

Les êtres intelligents se comportent rarement de façon hasardeuse. Nous avons tendance à émettre des jugements et à prendre des décisions en nous basant sur notre expérience et notre compréhension des liens de causalité, et ces décisions sont adaptées pour l’optimisation de nos vies. Les joueurs de Magic jouent à ce jeu exactement pour cette même raison. Imaginez jouer à Magic de façon purement aléatoire : des terrains aléatoires dans votre paquet, des sorts au hasard, attaquer ou non au hasard, etc. Ce serait ridicule ! Très peu de personnes apprécieraient cela et un plus petit nombre encore accepteraient de consacrer leur temps libre et d’investir dans un loisir aussi aléatoire. Mais le jeu devient plus agréable quand les joueurs doivent utiliser leur raisonnement logique pour augmenter leurs chances de victoires. Les joueurs de Magic adorent résoudre des énigmes, ce qui implique que les risques et les gains peuvent s’avérer plutôt excitants. Ajoutez à cela de l’argent, des lots et de la renommée, et la motivation pourrait devenir si forte que certains joueurs décident que tricher est un meilleur choix que de jouer selon les règles.

 

Partie 2 : Risque / Récompense, aussi connu comme analyse Coût / Bénéfice

Il y a trois idées associées à la comparaison d’actions possibles:

  • l’avantage (gain potentiel)
  • le (non) retour sur investissement (perte potentielle)
  • la probabilité de réaliser chacun.

Dans de nombreux cas les probabilités de chacune sont liées et nous considérerons donc qu’il y a juste une probabilité de réussite (ou d’échec). Quand le gain ou la probabilité de réussite s’élèvent, nous sommes plus tentés d’essayer cette action. Quand le taux d’échec s’élève, nous sommes moins tentés d’essayer. Le nom formel de ce genre de prise de décision est l’analyse coût/bénéfice. Voici deux situations pour illustrer ce point.

Supposez que vous jouiez à une loterie et que vous pouvez risquer 1€ pour gagner 1000€. Vous avez 10% de chances de gagner. Beaucoup d’entre nous joueraient. Si cela coûtait 100€, certains joueraient encore mais ce serait moins attractif. Si cela coûtait 800€, très peu d’entre nous joueraient. Si le gain est de seulement 2€, alors une chance de 10% semble trop basse pour essayer.

Voici un autre exemple, celui-ci est tiré de Magic. Imaginez que vous allez perdre si vous ne piochez pas une Foudre à votre prochain tour. Il reste 21 cartes dans votre bibliothèque et vous avez quatre Foudres parmi elles. À la fin du tour de votre adversaire, vous utilisez un “fetchland” et allez chercher une montagne, vous avez donc maintenant 4 chances sur 20 de gagner. Vous savez faire quelques tours de passe-passe durant le mélange et vous devez décider si vous les utilisez ou non pour augmenter vos chances de victoire. Qu’allez-vous considérer pour prendre votre décision ? Le risque est d’être pris, disqualifié et suspendu pour un bon moment. Il y a aussi un risque concernant votre intégrité personnelle, et sur comment vous perçoivent les autres. La récompense est que vous allez faire Top 8 sur ce tournoi. Vous estimez qu’il y a 70% de chances de s’en sortir sans être pris. Est-ce que vous essayez ? Sur une FNM ? Sur un PPTQ ? Et sur un Pro-Tour où vous gagneriez BEAUCOUP d’argent en étant dans le Top 8 ? Le feriez-vous s’il restait seulement 8 cartes, de sorte que vous réussiriez 4 fois sur 8 sans tricher? Y gagneriez-vous autant maintenant ?

Ce sont des questions clés que les joueurs se posent certainement. Parfois, ils considèrent les choses dans le détail et les planifient (ce que nous appelons préméditation). Parfois, ils ne planifient pas de tricher mais une opportunité se présente d’elle-même et ils prennent la décision très rapidement (ce que nous appellerons opportunisme). Si vous, en tant qu’arbitre, pouvez évaluer certaines de ces idées, vous pourrez certainement les utiliser dans votre détermination de triche ou non-triche. Aucune de ces idées n’affirme ni n’infirme la question mais les idées peuvent être utilisées pour documenter votre décision. Jetons un œil à quelques vrais exemples issus de Magic.

 

Exemple n°1 A

Le joueur A est à la ronde 7 sur 8 d’un RPTQ. Il est à la table 29 sur 31, avec un score de 1-5. Après avoir perdu une longue première partie, le joueur A commence à jouer lentement dans la seconde partie, si lentement que la partie pourrait ne pas se finir. La position de la partie est dans le même état au tour 6. Vous le poussez à faire une action mais le joueur A déclare qu’il est fatigué et qu’il ne pense plus correctement. Quand vous évaluez ici l’infraction, pensez-vous que le Stalling serait une considération sérieuse ? Considérez ce que le joueur pourrait gagner dans ce match (rien – il va perdre 1-0-1 si le temps expire). Considérez ce qu’il peut gagner sur ce tournoi (rien, il est loin du Top 8 ou des lots, peut-être quelques Points Planeswalker). Un Warning pour Slow Play semble indiqué mais la disqualification ne l’est pas.

 

Exemple n°1 B

Le joueur A est à la ronde 7 sur 8 d’un RPTQ. Il est à la table 5 sur 31, avec un score de 5-1. Après avoir gagné une longue première partie, le joueur A commence à jouer lentement dans la seconde partie, de sorte que celle-ci pourrait ne pas finir. La position de la partie au tour 6 lui semble relativement défavorable. Vous le poussez à faire une action et le joueur A déclare qu’il est fatigué et qu’il ne pense plus correctement. Il accélère le rythme mais, deux tours plus tard, il ralentit à nouveau. Quand vous évaluez ici l’infraction, considérez vous le Stalling comme sérieusement envisageable ? Pensez à ce que le joueur pourrait gagner sur ce match (victoire au lieu d’un match nul, il va gagner 1-0-1 si le temps est écoulé, sinon il fera match nul 1-1-0). Considérez ce qu’il peut gagner sur ce tournoi (un peu, il peut rentrer dans le Top 8). Notez que les statuts de la partie et du tournoi ne prouvent pas qu’il est en train de jouer lentement intentionnellement mais cela devrait vous faire envisager cette possibilité sérieusement. Il est beaucoup, beaucoup plus probable qu’il ait essayé de jouer lentement intentionnellement ici que dans la situation #1A. Gardez bien cela à l’esprit quand vous enquêtez plus profondément.

 

Exemple n°2 A – Le grand classique

Le joueur A est sur la dernière ronde du Jour 1 d’un GP. Il est à 4-4. Lors de la troisième partie, le joueur A a gagné rapidement beaucoup de points de vie contre un jeu Burn et les deux joueurs ont noté le joueur A à 21 points de vie. Le joueur B n’a maintenant plus de cartes en main et il topdecke tous les tours quelques dégâts directs. Le joueur B, reconnaissant qu’il ne peut plus gagner maintenant, a déclaré qu’il allait abandonner bientôt. Après que le joueur B pioche Foudre, il dit « Foudre sur toi, tu descends à 19 », le joueur A dit “OK” et réduit son total de points de vie à 19. Un spectateur vient vous chercher et vous enquêtez, découvrant toute l’antériorité. Quand vous questionnez les joueurs à propos des maths, le joueur B indique qu’il a soustrait trop vite. Le joueur A déclare qu’il n’a pas fait spécialement attention et a accepté ce qu’a dit le joueur B a dit car celui-ci lui avait annoncé qu’il allait abandonner rapidement et qu’ils « la jouaient juste rapidement ». Le joueur A vous dit qu’il est expérimenté et qu’il connaît la règle à propos de la confirmation des points de vie mais il ne faisait pas attention car il essayait juste de finir la partie rapidement car lui et le Joueur B était en « pilote automatique » à ce moment-là.


Comment considèreriez-vous la disqualification du joueur A pour avoir mal représenté son total de points de vie ? Il dit probablement la vérité et a été négligent, méritant probablement un Warning pour GPE-CPV. Ou peut-être savait-il exactement ce qui se passait et a-t-il tenté de le cacher. Demandez vous si c’est le genre de triche que le joueur A pourrait faire, dans un match sûrement gagné, et sans grand intérêt. Il y a une très petite récompense à gagner et une tonne de perte s’il est pris à le faire. Sur un appel sensiblement similaire, vous devriez statuer sur un CPV comme la plus probable occurrence, à cause d’une analyse extrêmement défavorable du risque VS récompense.

 

Exemple n°2 B – Un autre grand classique

Le joueur A est sur la dernière ronde du Jour 1 d’un GP. Il est à 6-2. S’il gagne, il fait Jour 2. Dans la troisième partie, il a raté un land drop et a été descendu rapidement à 4 points de vie par un jeu Burn assez rapide. Le joueur B n’a plus de carte en main mais il a de multiples Foudre et Incinération dans sa bibliothèque qui infligent trois blessures. Le joueur A pioche pour son tour, craque un fetchland pour une montagne, mais n’indique pas la perte d’un point de vie, et met en place une victoire certaine sur son prochain tour si le joueur B ne le tue pas dans son propre tour. Le joueur B pioche pour son tour, ne gagne pas et concède. Les joueurs mélangent leurs cartes. Un spectateur vous appelle et votre enquête vous révèle toute l’antériorité. Le joueur A vous dit qu’il est expérimenté et sait exactement comment fonctionnent les fetchlands mais qu’il a accidentellement oublié de perdre un point de vie car il jouait trop vite.

Comment considéreriez-vous la disqualification du joueur A pour avoir intentionnellement mal noté ses points de vie ? Voyez-vous que cette situation est remarquablement plus suspecte que dans l’exemple précédent ? Pensez-vous que le point de vie perdu ici a la même probabilité d’être une simple erreur comme dans le précédent exemple ? Le risque pour le joueur A est toujours présent mais maintenant on a une plus grande récompense – faire Jour 2 avec une plus grande probabilité. Si c’est réellement une erreur, vous devrez penser que le joueur A a oublié son total de point de vie et l’effet des fetchlands. C’est ici une vérité collatérale de l’innocence. Demandez-vous si c’est probable qu’il oublie de descendre à trois points de vie contre un jeu Burn. Ne poseriez-vous pas ici quelques questions supplémentaires ? Et peut-être regarder combien d’autres fois le joueur A a oublié la perte de point de vie de fetchlands… La grande récompense de cette situation particulière a causé, pour vous, un sérieux problème de logique.

Quand vous pouvez identifier ces situations avec un rapport Risque VS Récompense favorable, vous pouvez les utiliser pour documenter votre décision. Mais il n’y aucune preuve absolue dans un sens ou dans l’autre. Parfois, vous pouvez vous tromper, comme dans ce dernier exemple, qui provient de mon expérience personnelle.

 

Exemple n°3 : on ne peut jamais être sûr

J’étais HJ sur un SCG il y a deux ans à peu près. Nous étions à la ronde 6 sur 9 et il y a eu un appel de la table 137. Je marchais aux alentours et il s’avéra que j’étais le plus près d’un spectateur qui cherchait un arbitre. Le joueur A avait joué un rituel infligeant 4 blessures à toutes les créatures. Le sort avait nettoyé la table, excepté que le dragon du joueur B était 4/5 et aurait dû survivre. Les deux joueurs l’avaient manqué et la table était donc vide. Deux tours plus tard, le joueur B réanime le dragon et réalise maintenant que les joueurs ont fait une erreur en laissant le dragon mourir sur le sort à 4 blessures. Le joueur A se vante auprès du joueur B que oui, il savait que le dragon devait survivre, mais il n’a rien dit car il ne pensait pas que c’était de sa responsabilité d’aider le joueur B à jouer correctement. Le joueur B est énervé mais il continue à jouer sans appeler un arbitre. Un spectateur vient me voir et m’informe de ce qui vient de se passer.

L’histoire du joueur B est pleine d’ignorance et totalement crédible – je ne suis de toute façon pas trop intéressé par sa version. Le joueur A m’a dit qu’il a initialement lancé le sort en pensant que le dragon était 4/4 et mourrait mais, deux secondes après que le joueur B l’a mis dans son cimetière, le joueur A réalisa qu’il devait toujours être en vie. Le joueur A continue et me dit qu’il ne pensait pas avoir fait quoi que ce soit de mal en restant silencieux car il n’a pas à aider son adversaire et que c’est de cette façon qu’ils jouent dans son magasin. Je pose quelques questions probantes sur son passé : c’est son premier tournoi compétitif, il joue depuis 8 mois dans son magasin local et il est à 0-5 sur cet évènement en construit. Son langage corporel est celui d’un nouveau joueur.


Donc, je suis à la limite de penser qu’il savait avoir fait quelque chose d’illégal, mais sur le point de lui laisser le bénéfice du doute et de statuer sur une GRV. Il n’y a vraiment pas grand-chose à gagner s’il sait réellement qu’il a fait quelque chose d’illégal. Il ne peut gagner ni argent ni lots et il m’a semblé que son histoire d’ignorance du méfait pouvait être vraie. Comme je m’apprête à rendre la GRV, le joueur A me demande comment j’ai su que je devais venir à la table. Je lui ai dit qu’un spectateur était venu me voir pour me dire ce qui c’était passé, et le joueur A répondit : « Oh, mec, j’en reviens pas que ce type m’ait balancé ! ».

Oups ! J’avais tout faux, clairement. Il ne connaissait peut-être pas les règles exactement mais il les connaissait suffisamment pour comprendre que laisser le dragon mourir était assez mal pour être « balancé ». C’est tout ce dont j’avais besoin, la conscience qu’il avait fait quelque chose de mal à ce moment-là. J’ai prononcé la disqualification. Après toute la longue discussion post-disqualification, il s’avéra que c’était en fait un nouveau joueur en Compétitif mais il voulait tellement gagner sa première partie de MTG en Compétitif qu’il s’était lui-même convaincu que c’était OK de ne rien dire à propos du dragon. C’était une erreur de jugement totalement opportuniste de sa part et il se sentait honteux de ça.

Qu’avait-il à gagner ? Il aurait eu sa première victoire en tournoi Compétitif, ce qui était assez important à ces yeux pour être capable de saisir une opportunité de tricher. Je n’ai pas vu la valeur que cela représentait car j’étais trop habitué à la compétition de haut niveau. Notez qu’il avait bien une motivation mais que je n’ai pas su la déceler correctement. Cela peut fonctionner dans les deux sens, prononcer la disqualification ou non. Ce qui plaît à l’un, à l’autre est odieux, comme on dit.

 

Résumé

D’après la définition de la triche, nous avons besoin que le joueur en ait conscience et qu’il ait l’intention d’en tirer un avantage. Parfois l’opportunité de tricher se présente d’elle-même et les joueurs en tirent avantage, et parfois ils le planifient. Mais dans la majorité des cas, il y a trois idées principales associées à la prise de décision : le gain possible, la perte possible, et la probabilité d’atteindre chacun. En pensant à ces trois choses, vous pourrez être capable de résoudre un appel rapidement et de l’arbitrer d’une façon ou d’une autre.


Ces pensées forment les bases des motivations et techniques dans l’exécution de la triche. Mais soyez vigilants car cela ne fonctionne que dans un sens. La motivation ne prouve pas elle-même qu’il y a triche (vous avez également besoin d’une preuve physique pour l’établir), tandis que la triche implique obligatoirement qu’il y ait motivation. La vérité collatérale d’une hypothèse de triche est qu’une motivation existe. Identifiez et examinez le rapport Risque / Récompense, spécialement dans des décisions délicates, et vous pourrez apprendre quelque chose.

 

Aller plus loin

Dans la troisième partie, je parlerai de quand terminer une enquête en cours. Souvent, les enquêtes peuvent durer trop longtemps et compromettre le timing d’un évènement. D’autres fois, les arbitres peuvent abandonner prématurément et rater des ponts clés, induisant ainsi de mauvaises décisions de culpabilité ou d’innocence. La dernière partie de cette série explorera comment imaginer le processus d’une façon qui vous laisse savoir quand en sortir.

Ceci est une traduction de Sylvain Boisbourdin.