Enquêtes – À la recherche des vérités collatérales (partie 3)

Écrit par Eric Shukan

Écrit par Eric Shukan

Les enquêtes peuvent prendre longtemps car il y a beaucoup de choses auxquelles penser. Si vous avez déjà été impliqué dans une enquête compliquée, vous savez qu’il est très facile de laisser s’écouler 15 à 20 minutes pendant que vous posez des questions et réfléchissez. Dans les deux premières parties, j’ai introduit l’idée de conséquences à éprouver et de l’examen des motivations. Combinez cela avec l’analyse de l’état du jeu, le comptage des cartes et des terrains, l’analyse des totaux de points de vie, etc. et nous pouvons facilement nous attarder un peu trop à prendre une décision.

 

Cette dernière partie se concentrera sur comment protéger le timing de votre évènement, spécialement en pensant à certaines façons de décider quand terminer une enquête. Comment savoir quand arrêter ?

 

Partie 3 : mettre fin à l’enquête

Les enquêtes sont basées sur l’acquisition de preuves pour formuler ou tester une hypothèse. Comme les données peuvent provenir de nombreuses sources, elles sont toutes utilisées pour mettre à l’épreuve ce que vous pensez qu’il est arrivé (ou peut-être une vérité collatérale de ce que vous pensez être arrivé). En mettant vos idées à l’épreuve, vous essayez de revoir votre jugement.

Rappelez-vous la citation de Jared Sylva dans la première partie : “Formez dans votre esprit une image de ce que vous pensez qu’il s’est passé. Puis demandez-vous ‘Qu’est-ce qui pourrait me faire changer d’avis ?’ Puis mettez-vous en chasse de cette information.” L’idée sous-jacente est que cette donnée est utilisée pour modifier votre jugement, et cela mène à une idée assez simple de quand arrêter. Aussi longtemps que vous avez une chance raisonnable de trouver une information qui révisera votre jugement, vous devriez continuer. Quand vous décidez que vous ne pouvez plus obtenir d’information qui vous fasse changer d‘avis, alors vous arrêtez, et ce quelle que soit l’hypothèse en cours pour rendre votre décision.

Notez qu’une telle information pourrait ne pas être obtenue pour plusieurs raisons. Chacune de ces raisons peut être peu probable, comme un joueur coupable qui décide de se confesser même s’il a précédemment menti de façon convaincante. Une autre raison possible est que l’information n’existe pas car votre hypothèse actuelle est la bonne. Une troisième raison pourrait être que vous n’avez pas pensé à l’information dont vous auriez besoin. Cette dernière difficulté diminue avec l’expérience.

Voyons ensemble quelques exemples.

 

Exemple n°1

Sur une FNM, deux joueurs vous appellent. Ils sont relativement nouveaux dans le jeu et dans votre magasin. Aucun des deux ne se rappelle si le joueur B a joué un terrain ce tour-ci et le joueur B veut jouer un terrain maintenant. À ce moment-là, vous n’avez aucune hypothèse, vous demandez donc quelques détails pour modifier votre jugement et avoir une hypothèse. C’est le 5ème tour du joueur B et le joueur B est sur la pioche. Chaque joueur a 5 terrains en jeu. Pour le moment, votre hypothèse change en « il a joué un terrain ».

Demandez vous – u’est-ce qui me ferait changer d’avis ? Destruction de terrain, chercheurs de terrains, pose de terrain ratée, etc. Vous regardez dans le cimetière et trouvez une Croissance luxuriante. Le joueur B prétend qu’il l’a jouée au tour 2 et a été chercher une montagne. Les deux joueurs disent qu’ils l’avaient oubliée jusqu’à ce que vous l’ayez indiquée. Votre hypothèse change immédiatement pour « il n’a pas joué de terrain » mais vous pourriez changer d’avis si le joueur B a raté une pose de terrain. Vous posez la question et les deux joueurs sont d’accord sur le fait qu’aucun d’entre eux n’a raté une pose de terrain avant ce tour. Il n’y a rien d’autre en cours, l’état de la partie est assez simple avec deux joueurs ayant joué deux ou trois sorts.

À ce moment, il n’y a aucune chance que vous changiez d’avis, vous terminez donc l’enquête et utilisez votre hypothèse actuelle pour statuer que le joueurs B n’a pas encore joué de terrain.

Malheureusement, ça n’est pas toujours si simple. Ou peut-être devrais-je dire heureusement, car arbitrer est plus intéressant quand les appels sont plus compliqués. Voici un exemple.

 

Exemple n°2

Sur la ronde 4 sur 7 d’un RPTQ, vous êtes appelé à la table 7 sur la troisième partie d’un match miroir entre deux jeux Fées. Vous reconnaissez les deux joueurs ; vous les connaissez pour être des joueurs réguliers et compétiteurs de haut niveau sur des PPTQ et des GP. La partie est finie mais les joueurs ont constaté que sur le tour précèdent, le joueur B était supposé piocher une carte pour Clique Vendilion que le joueur A venait de jouer. Les deux joueurs sont d’accord sur les détails et actions suivantes : le joueur A est à 3 points de vie et le joueur B à 2. Chaque joueur a trois jetons 1/1 peuple fée, la partie est bien avancée et avec beaucoup de terrains (le joueur A a juste lancé Oona, reine des færies et l’a activée pour trois jetons, puis le joueur B a tué Oona). Le joueur A a demandé « combien de cartes ? », ce à quoi le joueur B répondit « aucune ». Le joueur A a terminé son tour avec une carte en main et a annoncé qu’il avait des effets à la phase de pioche. Le joueur B a dégagé et pioché, puis le joueur A a lancé Clique Vendilion, en ciblant le joueur B. Le joueur A a choisi de faire mettre sur le dessous de la bibliothèque la carte que le joueur B vient de piocher, mais ensuite le joueur B oublie de piocher pour compléter l’effet de Clique Vendilion. Le joueur B passe, puis le joueur A pioche un sort de renvoi en main à son tour, renvoie un jeton peuple fée en main, puis attaque pour la victoire. Le joueur B concède.

Si vous décidez maintenant de revenir en arrière de la concession à la GRV pour ne pas avoir exécuté correctement la capacité de Clique Vendilion, alors vous avez raté la possibilité que le joueur A ait triché en oubliant volontairement de rappeler au joueur B de piocher une carte pour la Clique. Ce problème doit être résolu en premier car cela détermine l’infraction. Commençons donc par là.

L’hypothèse de base est « oubli – GRV », parce que nous ne présumons pas de la culpabilité sans preuve. Qu’est-ce qui pourrait vous faire changer d’avis ? Un aveu du joueur A le pourrait, vous lui demandez donc d’expliquer ce qui s’est passé, mais dans son histoire, il dit qu’il a oublié. Ouais, ça aurait été trop facile. Vous êtes toujours sur « oubli – GRV ». Quoi d’autre ?

Peut-être le langage corporel du joueur A vous dira-t-il quelque chose, mais quand il décrit ce qui s’est passé, vous ne pouvez rien dire sur son langage corporel. Le langage corporel peut être très utile si vous savez quoi rechercher, mais cela peut être une affaire délicate et incertaine. Quoi d’autre ?

Cela parait étrange que le joueur A oublie car il a demandé combien de cartes avait l’adversaire juste avant ça. Peut-être ont-ils eu d’autres conversations ? Quand vous demandez, le joueur B dit que quand le joueur A a lancé Clique Vendilion, le joueur A a aussi dit « J’espère que ça va marcher ». Quand vous questionnez le joueur A à ce propos, il dit qu’il a probablement dit quelque chose mais qu’il ne sait plus quoi exactement. C’est peu probable que le joueur B invente cela et la réponse que vous fait le joueur A ne contredit pas ça, vous allez donc partir du principe que c’est vrai. Cela peut vous faire changer d’avis car il apparaît que le joueur A sait exactement comment il voulait que le scénario se joue et il semble improbable qu’il oublie quand il n’y a rien d’autre à quoi penser. Prenez-le d’une autre façon : l’oubli du joueur A est une vérité collatérale de son innocence et cela semble peu probable.

À présent vous commencez à réfléchir au ratio Risque / Récompense, tel que décrit dans la partie 2. Vous réalisez que le joueur A est à 3-0 en rentrant dans cette ronde et, si le résultat est maintenu, il sera à 4-0. Une victoire de plus dans les deux prochaines rondes et il rentrera probablement dans le Top 8. C’est une récompense importante et la plupart des arbitres n’iraient pas ouvrir une enquête sur cela donc le joueur A pourrait donc penser que le risque est faible. Cela pourrait changer votre jugement en « triche – disqualification ».

À ce stade, sans tenir compte de quelle voie vous pensez être la plus probable, il est temps d’arrêter l’enquête. Si vous ne pensez pas que « triche » soit la bonne interprétation, rien d’autre ne vous convaincra. Et si vous pensez que « triche » EST la bonne interprétation, rien hormis la télépathie ne vous convaincra du contraire. Vous pourriez revérifier votre logique mais clairement il est grand temps d’arrêter.

Notez qu’il est possible de se tromper, quelle que soit la façon dont vous pensez que ça s’est produit, mais si vous pouvez étayer votre décision avec logique et preuve, alors votre décision est la bonne. Ne perdez pas de temps à essayer de trouver la preuve parfaite car elle n’existe probablement pas de façon tangible. Si aucune possibilité raisonnable ne peut vous faire changer d’avis, arrêtez-vous et statuez. Parfois, c’est dur pour vous, quelle que soit la décision choisie.

 

Exemple n°3 – Incroyable mais vrai

Pendant le deck check des joueurs A et B sur un Open Legacy, un arbitre découvre le joueur A se tenant à deux mètres de la table de deck check, regardant les arbitres vérifier son deck. L’arbitre se demande si le joueur A n’a pas suivi l’équipe de deck check à la table pour obtenir des informations non autorisées sur le deck du joueur B. Vous enquêtez.

Le joueur A dit qu’il a demandé à l’arbitre venu chercher les decks s’il pouvait se lever et le suivre à la table de deck check, et l’arbitre a dit oui. Votre hypothèse actuelle est « qu’est-ce que c’est que… ??? », vous lui demandez donc pourquoi il a fait ça. Le joueur déclare qu’il était inquiet à propos de son deck Legacy à 4000€ et qu’il voulait garder un œil dessus. Vous changez votre hypothèse en « bizarre, mais possible » et pensez qu’une discussion avec l’arbitre en question pour vous aider à conforter votre position, ou vous faire changer d’avis. Vous demandez à l’arbitre et il dit que le joueur a demandé à se lever et aller aux toilettes, et bien sûr l’arbitre a dit oui.

Oups ! Vous pourriez revenir à « le joueur ment » ou peut-être « l’arbitre a fait une erreur », mais réfléchissez un instant. Pensez-vous vraiment que ce joueur pourrait fabriquer CETTE histoire ? Cette histoire – si c’est un mensonge – a juste 0% de chance de réussir, vous ratez donc quelque chose, parce que le risque encouru par le joueur est bien trop élevé pour ça. « Le joueur ment » est possible mais peu probable. Existe-t-il une autre possibilité d’avoir plus d’informations ? Si vous aviez un témoin tierce-partie…

Eh bien, ça pourrait être le cas. L’adversaire pourrait avoir entendu quelque chose car il était à la table. Vous le lui demandez et il dit que le joueur A a demandé à « se lever et suivre l’arbitre » et l’arbitre a dit oui ! Vous demandez une nouvelle fois aux deux joueurs et à l’arbitre s’ils sont sûrs de ce qu’ils ont entendu et ils disent tous en être certains. Maintenant, VOUS devriez être certain que l’un d’entre eux se trompe.

Donc, où en êtes-vous ? À la lumière du témoignage de l’adversaire qui corrobore la version du joueur A, vous devriez penser « pas d’infraction (mais peut être une belle histoire à raconter pour un dîner entre arbitres !) ». Qu’est-ce qui pourrait vous faire changer d’avis ? La réponse est… rien ! Même si vous interrogez à nouveau l’arbitre sur ce qu’il a entendu dire par le joueur, et même s’il est certain que le joueur a demandé à aller aux toilettes, vous ne pouvez pas aller à l’encontre du témoignage de l’adversaire ! Avec l’adversaire témoignant en faveur de l’accusé, vous n’avez aucune chance de changer d’avis. En d’autres termes, si vous avez expliqué cela, disons, sur le Judge Center (Dans un rapport de Disqualification par exemple), vous ne pouvez pas justifier une disqualification pour mensonge, car vous ne pouvez pas aller à l’encontre du témoignage de l’adversaire. Une vérité collatérale de la culpabilité du joueur serait que soit l’adversaire se trompe, soit ment. Un mensonge de l’adversaire est totalement improbable, et si l’adversaire s’est trompé dans ce qu’il a entendu (peu probable), vous ne pourrez jamais déterminer ça désormais. Donc, vous arrêtez l’enquête immédiatement et renvoyez les joueurs à leur partie.

Cela est réellement arrivé et l’enquête a pris beaucoup de temps car le Head Judge est venu maintes et maintes fois, réécoutant chaque histoire plusieurs fois. Le témoignage écrit de l’arbitre en charge du deckcheck indique qu’il a supposé que le joueur voulait aller aux toilettes d’après son langage corporel et qu’il n’avait pas enregistré mot pour mot ce que le joueur avait dit. Il apparaît donc que l’arbitre en charge du deckcheck n’était pas du tout certain de sa compréhension du sujet. Dans tous les cas, il n’y avait aucun intérêt à revenir en arrière une fois que l’adversaire eut confirmé l’histoire du joueur A, car rien après ça n’a d’importance. Malheureusement, le joueur a été disqualifié en dépit du soutien de son adversaire, et le Head Judge n’a pas tenu compte du témoignage de l’adversaire, comme s’il n’était pas pertinent. C’était pourtant la preuve la plus importante.

Voici une façon différente de voir les choses : si vous allez interroger l’adversaire, puis que vous NE TENEZ PAS compte de son témoignage pour modifier votre jugement quand celui-ci contredit votre hypothèse, alors pourquoi interrogez-vous l’adversaire ? Vous devriez chercher des informations pour aider le joueur autant que vous en cherchez pour le disqualifier. Les enquêtes servent à réviser votre jugement ! En tant qu’arbitre membre du Comité d’Enquêtes, j’ai été mécontent de voir ce cas parce qu’une injustice a été commise envers le joueur.

 

Résumé

Cherchez des preuves qui pourraient vous faire réviser votre jugement. Si vous savez que vous n’en trouverez pas, alors arrêtez tout de suite et rendez votre décision. De nombreux arbitres prennent du retard à chercher la preuve irréfutable de culpabilité ou d’innocence (ou de terrain joué / non joué). Cela arrive de temps à autres mais ne comptez pas dessus.

J’ai vu des arbitres demander CINQ fois à un joueur d’expliquer ce qui s’est passé. Quand arrivera la 5ème fois, il y aura de légères différences entre la 1ère version et la 5ème, et certains arbitres sont prompts à sauter sur les différences entre l’histoire 1 et l’histoire 5. Cela s’appelle une chasse aux sorcières (voyez-vous ça) car vous n’arrêterez pas tant que vous ne trouverez pas une sorcière à brûler. S’il-vous-plaît ne faites pas ça.

 

Conclusion

Cette série d’articles a été conçue pour vous aider à créer un plan pendant les enquêtes, et à décider quelles informations pourraient vous être utiles. La partie 1 a défini que les vérités collatérales sont des conséquences que pourriez être capables de vérifier ou contredire, de façon à tester une hypothèse. La partie 2 a décrit la motivation comme étant une vérité collatérale de la triche, et si vous analysez donc le rapport Risque / Récompense, vous devriez apprendre quelque chose. La partie 3 décrit l’idée de « Qu’est-ce qui peut vous faire changer d’avis ? » comme elle devrait être utilisée pour décider quand arrêter une enquête.

Appréhendez chaque appel à l’arbitre avec l’esprit ouvert et en étant préparé à modifier ou abandonner votre hypothèse. Soyez désireux de changer d’avis, essayez de changer d’avis et soyez conscient de quand votre avis ne peut plus changer.

Ne vous attendez pas à devenir un expert en enquête sur le champ. Cela requiert de l’expérience mais vous pouvez acquérir cette expérience même sur de simples appels de routine. Voici des choses que j’ai apprises avec le temps.

  • Séparez les joueurs rapidement si l’appel ne concerne pas les règles, parce que les joueurs utilisent les arguments de chacun très rapidement.
  • Parlez aux spectateurs si vous pensez que cela peut vous faire changer d’avis.
  • Cherchez des informations qui aident le joueur autant que vous en cherchez contre lui.
  • Réalisez que parfois, vous allez devoir décider quelle option est la plus probable, plutôt que certaine. Et méfiez-vous du mot certain. Les joueurs et les arbitres utilisent souvent ce mot de manière incorrecte.

Résoudre des appels et des problèmes logistiques, mener des équipes à être efficaces et productives, discuter des règles… Ce sont les énigmes des arbitres qui rendent l’arbitrage fun. Amusez-vous !

Ceci est une traduction de Sylvain Boisbourdin.