Il serait aisé de croire qu’enquêter est exclusivement réservé au Head Judge. Ce n’est pas une façon peu commune de penser, ce n’est pas non plus déraisonnable. Toutefois, une telle croyance peut être au détriment de la qualité d’une investigation.
Disons le franchement : sans arbitre de salle, il n’y aurait aucune enquête.
Les arbitre de salle détectent les litiges, analysent les situations, et ensuite décident si une situation vaut la peine d’être approfondie. Jusque-là, le Head-Judge n’a pas la moindre idée que quelque chose se passe.
En d’autres termes, jusque-là, qui enquête ? L’arbitre de salle !
Toutefois, il arrive assez souvent qu’un arbitre vienne vers moi pour me dire qu’il suit une investigation mais, lorsque je lui demande plus de détails, il ne peut réellement pas m’en donner beaucoup : il sent juste que quelque chose sonnait faux et que je devrais être impliqué.
Ce qui est honnêtement un bon début ! Pas si génial qu’il pourrait être, mais un bon début !
Regardons comment le rendre génial : En tant qu’arbitre de salle, que feriez-vous pour rassembler les meilleures conditions en vue d’une investigation ?
Evaluer la situation
Le premier réflexe d’un arbitre en arrivant auprès d’une table est d’évaluer la situation : Est-ce une question de règles, un problème de communication, un désaccord sur un fait, quelque chose d’autre ? C’est un réflexe naturel et bon, qui malheureusement n’importe presque pas autant qu’il n’y parait.
Quand vous arrivez à la table, l’objectif est de déterminer si tous les joueurs sont d’accord sur ce qu’il s’est passé ou non. C’est la première chose auquel vous avez besoin de vous intéresser.
90% du temps, ils le sont, et vous pouvez sereinement répondre à leur question à la table.
Toutefois, s’ils ne le sont pas, il est important de séparer les joueurs dès que vous remarquez le désaccord, et vous assurer de leur parler individuellement.
En effet, quand deux joueurs ne sont pas d’accord, cela peut vouloir dire que l’un ment et de ce fait, vous devriez probablement impliquer le Head Judge. Mais pas immédiatement ! D’abord, vous avez besoin de mener une partie de l’enquête.
Collecter les versions originales des joueurs
Si les joueurs ne sont pas d’accord, parlez à chacun, l’un après l’autre, à l’écart de la table. Si vous sentez que la séquence de jeu peut être significative, vous pouvez vouloir leur parler à la table, afin qu’ils puissent vous montrer ce qu’ils pensent qu’il s’est passé. Dans ce cas, demandez à l’autre joueur de s’éloigner quelques mètres plus loin.
Le but ici est de récolter les avis de chaque joueur sur la situation. Leur avis initial est un élément central de l’investigation, puisqu’il les contraint à s’y tenir au fil de leurs explications et, plus tard, vous pourriez y relever des contradictions.
De ce fait, il est crucial qu’aucun des joueurs ne puisse entendre la version de l’autre, où il pourrait avoir une chance d’adapter sa version avec celle qu’a donné son adversaire.
Vous avez peut-être déjà entendu quelque chose comme « Je suis d’accord avec tout ce qu’il a dit mais […] ». Dans ce cas, le joueur n’a pas vraiment donné son avis. Il a simplement corrigé son adversaire. En faisant ainsi, il ne vous donne pas vraiment beaucoup d’informations et il est en position très forte car il peut toujours « clarifier ».
Il y a d’autres avantages à séparer les joueurs :
- S’ils sont énervés l’un par l’autre pour une raison ou pour une autre, leur niveau de frustration va considérablement descendre sitôt qu’ils ne feront plus face à leur source de frustration. Pour optimiser cela, faites en sorte de parler au joueur de manière à voir l’adversaire, mais que lui ne puisse pas.
Compliments à Michael Arrowsmith pour cette astuce
- Placez-vous dans une position où vous contrôlez la situation, ce qui vous permet d’avoir une discussion productive avec chacun des joueurs, en évitant les situations où un joueur n’arrête pas d’interrompre l’autre.
- En parlant en privé, vous pouvez faire que les joueurs vous parlent de raisonnement stratégique, vous montrent des cartes de leur main qui sont cruciales, etc… En un mot, vous avez accès à de l’information qu’ils ne seraient pas tentés de vous donner autrement.
Une fois les versions de chaque joueur collectées, vous devez prendre la décision d’impliquer le Head Judge ou non.
Ce n’est pas automatique. En effet, il est possible qu’une fois séparés, les deux joueurs finissent par vous dire exactement la même chose, mais avec des mots différents. Ou peut-être que les moindres différences sur lesquelles ils se disputaient n’étaient pas significatives du point de vue arbitral (c’est souvent le cas quand vous avez affaire à un Out-of-Order Sequencing)
C’est le moment de prendre une décision
L’enquête de l’arbitre de salle ne doit raisonnablement pas être longue, vu qu’elle réside essentiellement en de la collecte de donnée. La raison est que, de toute façon, les joueurs vont vouloir tout expliquer de nouveau au Head-Judge, donc vous ne devez pas passer trop de temps avant de décider d’aller chercher le Head-Judge. Vous avez seulement besoin d’être certain de ce que vous avez entendu.
Actuellement, le processus décrit jusqu’à aujourd’hui est assez générique et s’applique à la Triche aussi bien que des cas plus triviaux comme déterminer si une séquence de jeu était un Out-of-Order Sequencing ou non. Dans tous les cas, vous voulez savoir ce qu’il s’est passé avant d’être capable de prendre une décision et vous devez rassembler une information aussi authentique que possible.
Et comme le même processus s’applique, les mêmes contraintes s’appliquent aussi : vous ne pouvez pas attendre éternellement avant de prendre une décision.
Aller chercher le Head-Judge
Cela se passe lorsque (1) votre décision est contestée ou (2) vous croyez qu’il y a Triche.
Gardez un arbitre à la table
De cette manière, vous pouvez aller chercher le Head-Judge vous-même. Ainsi, cet arbitre peut surveiller les joueurs, les empêcher de parler avec leurs amis, ou empêcher la situation de dégénérer entre eux.
Vous n’avez pas besoin de vous rappeler à quel numéro de table vous étiez appelé.
Une fois retourné à la table, cet arbitre pourra couvrir la zone et vous pourrez rester impliqué sur l’enquête. (voir ci-dessous).
Informez le Head-Judge avant qu’il n’arrive à la table
En effet, être à la table déclenche inconsciemment un sentiment de pression car les joueurs vous attendent, et peuvent vous voir parler au Head-Judge. Il y a un risque que vous précipitiez le briefing et omettiez d’importants éléments.
N’informez pas le Head-Judge sur le chemin de la table
Vous ne pouvez pas marcher tous les deux en même temps sur la même ligne (ou votre lieu de tournoi est génial), et si vous avez déjà essayé d’écouter quelqu’un qui est en face de vous au milieu d’un tournoi de Magic, vous pouvez réaliser à quel point c’est difficile. Cela veut probablement dire que vous allez arriver à la table sans avoir fini votre briefing, ce qui déclenchera encore ce sentiment de limite de temps et peut mener à oublier une importante information.
Il y a un équilibre à trouver entre temps et efficacité : si le temps est bien sûr un ennemi, la désinformation ou au moins une information incomplète, est bien plus à craindre.
Rester impliqué
Il arrive trop souvent que l’arbitre de salle qui a pris l’appel disparaisse après me l’avoir confié. C’est très désavantageux pour l’enquête.
En effet, étant donné que vous avez rassemblé les tout premiers éléments de l’enquête, il est crucial que vous restiez impliqués pour déceler la moindre contradiction dans l’histoire d’un joueur.
Restez avec le Head-Judge, écoutez les joueurs et quand vous sentez que quelque chose est anormal ou peut être contradictoire, faites en part au Head-Judge !
Il est important de rester concentré, et prendre des notes peut être utile, spécialement dans ces situations conflictuelles et pas claires. Etre certain des premières déclarations de chaque joueur est crucial pour déterminer ce qu’il va se passer.
Soyez actifs, pas réactifs
Les arbitres enquêtent généralement parce que les joueurs les appellent. Cependant, il y a plusieurs possibilités d’être proactifs et de lancer une investigation par vous-même. Cela peut venir :
- En regardant une partie et en étant témoin d’une action anormale ;
- En remarquant une petite erreur qui a beaucoup d’importance dans la partie.
En regardant des parties
Identifier la triche nécessite d’identifier l’intention du joueur. A moins que le joueur ne vous mente de façon flagrante, et vous raconte plusieurs choses différentes, très peu de situations permettent actuellement à l’arbitre de prouver l’intention d’un joueur. C’est pourquoi un peu de prise de connaissance et d’intuition est nécessaire. Regardez les situations nommées « Une pause coupable » décrites dans mes rapports au GP Los Angeles et au GP New Jersey. Ce sont de parfaits exemples de DQ qui n’auraient jamais pu arriver si l’arbitre n’avait pas regardé la partie.
En anticipant les conséquences
Lorsqu’une erreur se produit, évaluer ses conséquences sur la partie est important :
- La partie était-elle décisive ?
- Permettait-elle à un joueur de survivre ?
Quand une erreur a de larges répercussions, cela vaut souvent le coup d’enquêter.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, en tant qu’arbitre, vous êtes l’élément le plus critique lors du travail d’investigation : de la détection du problème à la double vérification des dires des joueurs, le succès d’une enquête repose beaucoup sur vous.
Quand vous faites appel au Head-Judge, si votre partie de l’enquête était très bonne, il n’aura techniquement qu’à prendre une décision. Plusieurs facteurs peuvent bien sûr changer ce dénouement utopique, mais c’est ce que vous devez avoir comme but !
Kevin Desprez.
Traduction par Sylvain Boisbourdin